Stetson à Bruno dans "J'ai vu le film " n°2
Merci pour les compliments. J'ai tellement peur de souler le monde...
En tous cas, l'idée du rapprochement avec les tragédies grecques m'étaient venu aussi et je voyais ces héros du coté de Titus et Bérénice. Avec une nuance : sans qu'on puisse parler de happy end, j'y vois une fin plus heureuse qu'on ne dit habituellement puisque à la fin, puisqu'Ennis, par le rite magique sur les chemises et la carte postale, ressuscite Jack en lui
Mais je crois qu'une part du génie d'Annie Proulx et d'Ang Lee a été d'animer le film d'autres thèmes qui traversent nos sociétés. Entre autres, le schéma chrétien l'existence :
1 Le Paradis et la découverte de la connaissance dans Broke Back Mountain. Le thème du péché est du reste explicitement discuté entre les deux hommes.
2 La chute : la neige en plein mois d'aout, et Joe Aguirre qui les voit, les juge ("Vous n'ètes que des mauvais") et les chasse. Ils iront par la suite dans la montagne, mais jamais plus à Brokeback.
3 La vie avec le travail dur, la reproduction, et toutes ses oppressions.
4 La mort : la visite d'Ennis dans le ranch glacial est une véritable descente aux Enfers où il ne retrouve rien de Jack dans ses parents mais rencontre dans le père une véritable image de la destruction (il détruit son fils en ne respectant pas son ultime volonté, et tente de le détruire dans le coeur d'Ennis)
5 La résurrection : celle de Jack en Ennis.
Bien sûr, Annie Proulx en Ang Lee on totement revisité ce thème. Lorsque je veux convaincre mes amis et mes collègues d'aller voir ce film, et je ne leur parle que de ça depuis le 18 janvier, je leur dit pour rire "Ce film, c'est le chapelle Sixtine du cinéma ! " De fait, les auteurs ont donné à cette histoire, habituellement mise au service de la répression, la même charge de beauté scandaleuse et libératrice que Michelange y avait mise (voir, entre autre, la manière de montrer les corps nus et habillés et leurs contorsions dans le sexe ou dans la lutte) Au fait...il faut croire qu'il y des choses qui ne passent toujours pas cinq cents ans plustard. Il y a une dizaine d'années, un critique, lors de la restauration de la Sixtine, a déclaré : "C'est une oeuvre sans grand intérêt, dans le fond : un rêve de folle..." . On a les Joe Aguirre qu'on peut...
Autre thème ancien auquel je suis sensible dans ce film et que j'y vois : le stoïcisme, dont Annié Proulx parle dès la description de leurs enfances. Pour moi, Ennis Del Mar et Jack Twist sont de véritables stoïciens romains par plusieurs traits :
- La manière de regarder la mort en face pour se libérer de ses angoisses. De fait, ils abordent la question de la mort dans presque toutes leurs conversations : mort des parents d'Ennis, des occupants du sous-marin Treesher, du vieux fermier homosexuel, mort de Jack lorque Ennis le menace.
- La mise à distance de la souffrance physique pour la dépasser. Le passage qu'Annie Proulx consacre à la souffrance physique de Jack est saisissante. Réponse d'Ennis, qui lui prend la main " En tous cas pour moi, sûr que t'as l'air d'être en un seul morceau."
- L'indifférence aux biens matériels, surtout pour ne pas s'en embarrasser : vêtement minimum, pas de barraque, pas de meuble "Quand on n'a rien, on n'a besoin de rien". Tout ce à quoi il tient, ce sont ses chevaux qui permettent de retrouver la montagne. "libre de tout larguer s'il en avait envie et de partir dans la montagne sans préavis" . Dans le fond, Jack, à la fin, possède encore moins puisque tout appartient à sa femme qui tient les cordons de la bourse.
- L'accomplissement d'une morale exigeante : au final, aucun n'a jamais renié aucun de ses engagements, même si c'était d'une complication effroyable de jouer le jeu. Même s'ils en bavent chacun dans son coin, aucun n'a abdiqué sa part de liberté et chacun a respecté la liberté de l'autre.
Bon...je vois que j'ai encore fait plus long que prévu. Encore mes excuses à ceux qui trouvent que je fait trop d'analyses perso, mais qu'ils sachent que comme eux, je suis dans une profonde émotion depuis le 18 janvier 2006 et que c'est ma manière d'en parler.